29.4.09

N. – Ernesto Ferrero

N, c’est Napoléon, ce monstre froid, cet orque assoiffé de sang et pour qui la vie humaine n’a pas de prix. Des morts par dizaines de milliers sur chaque champ de bataille, par millions au bout des campagnes qui n’ont eu d’autres objectifs que d’alimenter une volonté insatiable de grandeur et de puissance.

C’est ce bourreau que déteste M. Aquabono, lettré et féru de littérature française et qu’il voit débarquer sur son île d’Elbe, jusque là bien tranquille. Une île en ébullition et vite conquise, sans coup férir.

Le parti-pris de l’auteur est intéressant. Ce n’est pas au militaire, au Consul ou à l’Empereur qu’il s’adresse. C’est au petit roi déchu, émigré sous des cieux italiens, placés sous la férule des Anglais et à qui on a laissé un lopin de terre, loin de tout, pour jouer sans risques. Un épisode peu glorieux et mal connu de l’épopée napoléonienne.

Rapidement, à peine débarqué, N. n’aura de cesse que de réorganiser de fond en comble une île jusqu’ici endormie et profondément agricole. Il y mettra la même énergie et détermination qu’en toutes choses, gouvernant de façon inflexible, un objectif toujours en tête : revenir au pouvoir à Paris.

Accompagné de ceux qui lui sont resté fidèles (son fidèle Drouot en particulier), il va s’appliquer à amadouer les autochtones en les obligeant et saura parfaitement endormir la vigilance de ses geôliers par une politique active de rénovation profonde de l’île.

Ce sont des citernes d’eau qui sont mises en place, un système complet de traitement des eaux usées, des routes qui sont tracées, des palais construits, des fortifications consolidées. Une administration totale est mise sur pied ainsi qu’une marine militaire et une petite armée.

Mais N. est aussi un homme de lettres, non pas par amour (sait-il au moins ce qu’est l’amour ?), mais parce qu’il veut tout maîtriser dans l’art de la guerre : la géographie, l’histoire, les mathématiques (pour la balistique), la physique… Il lui faut donc un bibliothécaire pour s’occuper des superbes volumes qu’il a fait venir de ses bibliothèques impériales, plus ou moins au nez et à la barbe des Anglais.

C’est Aquabono qui se voit confier cette responsabilité, lui qui déteste N. pour des raisons éthiques et morales.

Mais à côtoyer le grand homme, bientôt c’est la haine intellectuelle va bientôt se transformer en authentique admiration. Celle de l’énergie inépuisable, celle de la volonté délibérée de revenir au pouvoir, le moment venu, celle du paternalisme dont N. use sans mesure pour parvenir à ses fins, celle du stratège brillant et manipulateur d’hommes, obtenant en tout, ce qu’il désire..

Comment faire quand on ne sait que servir loyalement, que l’on se prend à admirer un homme hors du commun et qu’en même temps on aimerait l’assassiner, pour protéger l’Europe de nouvelles saignées humaines ?

Pusillanime, Aquabono ne saura qu’être la proie de ses doutes, rêvant d’être celui qui aura tué le monstre. Pendant ce temps, N. réformera profondément Elbe et préparera son retour, éphémère, au pouvoir. Un homme d’esprit face à un homme brillant d’actions. U n combat perdu d’avance.

Dans ce livre à la fois d’histoire extraordinairement documenté et roman psychologique et historique, Ferrero sait nous emmener sur des chemins de traverse qui nous donne à voir Napoléon sous un jour différent et surtout, Napoléon, en tant qu’homme fait de chair et de sang, en proie à ses doutes, ses amertumes, ses regrets mais toujours tourné vers l’action, assoiffé d’avenir fait de gloire. Car il ne fur rien d’autre que cela : un mégalomane de génie, visionnaire, d’une énergie rare, au leadership que rien ne pouvait arrêter sauf son ambition dévorante.

Certes le livre, à force de détails et de minutie, est un peu long mais tout amateur d’histoire et tout passionné du grand homme, dont je suis, se doivent de lire ce roman à part.